LABEL E+C- ET RE 2020 : QUELLE RÈGLEMENTATION POUR LES BÂTIMENTS NEUFS ?

Dans quelques mois, la RE 2020 entrera en vigueur. Trois de nos experts en analyse de cycle de vie du bâtiment nous livrent aujourd’hui leurs visions de l’expérimentation E+ C- censée préfigurer cette nouvelle règlementation environnementale des bâtiments neufs.


 

Du label E+C- à la RE 2020

Pour limiter le changement climatique, le secteur du bâtiment doit diminuer son impact sur l’environnement. Face à ce constat largement partagé, le Ministère de la Transition écologique et solidaire déploie des actions concrètes pour encourager la construction de bâtiments efficaces et vertueux sur les plans énergétiques et environnementaux.

Fin 2016, l’expérimentation E+C- était lancée en vue de préparer la future règlementation environnementale de la construction neuve prévue pour 2020 (RE 2020). L’objectif affiché était de co-construire avec l’ensemble de la filière la règlementation de demain qui intégrera notamment de manière systématique à l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) pour évaluer la performance environnementale des bâtiments.

 


 

E+C- Volet « Energie »

Les valeurs à respecter sur les 3 premiers niveaux de l’indicateur BEPOS sont progressives et correspondent à des réductions de consommations comprises entre 5% et 40% par rapport à la RT 2012. Ces trois premiers niveaux de performance n’imposent pas forcément le recours à des systèmes de production locale d’énergie renouvelable ou de récupération.

Un écart conséquent est constaté entre les niveaux 3 et 4, ce dernier nécessitant une performance thermique très élevée combinée à une production d’EnRR (Energie Renouvelable et/ou de Récupération) conséquente. Le niveau E4 est donc difficile à atteindre pour la majorité des projets.

Comment optimiser l’indicateur BEPOS d’un projet ?

 

1) Performance thermique du bâti : la première action pour minimiser l’indicateur BEPOS concerne la performance de l’enveloppe du bâtiment. Il est effectivement indispensable de mener une réflexion approfondie sur l’architecture du bâtiment (compacité, surfaces vitrées, orientations, etc.) mais aussi sur la performance des matériaux mis en oeuvre afin de limiter au maximum les besoins énergétiques des bâtiments.

2) Sources énergétiques pour le chauffage et l’ECS : au-delà de la performance énergétique des systèmes, la source d’énergie utilisée doit être choisie avec attention. Le bois énergie et les réseaux de chaleur incorporant un fort taux d’énergie renouvelable et de récupération dans leur mix énergétique sont des atouts indéniables pour minimiser le bilan BEPOS. Les pompes à chaleur disposant d’un COP élevé sont aussi intéressantes mais peuvent cependant s’avérer pénalisantes sur le volet environnemental selon les fluides frigorigènes qu’elles incorporent (contributeur composant).

3) Production locale d’énergie renouvelable : la mise en oeuvre d’équipements de production d’énergie d’origine renouvelable tels que les panneaux solaires photovoltaïques ou la cogénération sont indispensables pour espérer atteindre le niveau E4 et compenser les consommations d’énergie non renouvelables du bâtiment. Le dimensionnement de l’installation est alors une étape clé pour maximiser le potentiel de production du site.

 

E+C- Volet « Carbone »

Les modélisations ACV réalisées font apparaître des difficultés pour atteindre les niveaux C1 et C2. Quels que soient les usages de bâtiments considérés, une application rigoureuse du référentiel E+C- rend complexe l’atteinte des niveaux les plus élevés. Plutôt que de remettre en cause le calibrage des seuils E+C-, il est important de souligner que les données environnementales de la base INIES ne sont pas encore suffisantes pour permettre une modélisation fine des projets. Cette situation conduit à l’utilisation massive de modules de données génériques par défaut (MDEGD), défavorables car majorés par rapport aux données spécifiques, dès que les produits mis en oeuvre ne disposent pas de FDES ou de PEP. Bien qu’en cours de révision pour l’arrivée de la RE 2020, les exigences de résultats sont difficiles à établir sans une base de données environnementales exhaustive intégrant un maximum de données spécifiques.

Comment optimiser les indicateurs Eges et EgesPCE d’un projet ?

 

1) Contributeur PCE : il s’agit généralement du principal contributeur d’un bâtiment neuf. Calculé à partir des éléments quantitatifs d’un projet (métrés, DPGF, etc.), il est basé sur l’agrégation de l’ensemble des matériaux et équipements mis en oeuvre à l’échelle du bâtiment. Le premier levier pour optimiser la performance de ce contributeur consiste à mener un travail approfondi d’écoconception sur les matériaux à utiliser : une analyse fine des données environnementales disponibles est alors nécessaire pour s’assurer de la validité des choix réalisés. Il convient alors de travailler en priorité sur les postes les plus impactants (gros oeuvres, revêtements de sol, menuiseries, etc.) afin de minimiser l’empreinte environnementale du bâtiment. En complément, la sobriété dans l’utilisation de matériaux décoratifs et/ou non fonctionnels se révèle souvent pertinente pour limiter l’impact d’un projet.

2) Contributeur Energie : calculé à partir du fichier RSET issu du calcul thermique réglementaire, il peut être optimisé en appliquant les bonnes pratiques décrites sur le volet « Energie » : réduction des consommations d’énergie non renouvelables, sobriété et efficacité énergétique, choix de sources énergétiques faiblement émettrices en gaz à effet de serre.

3) Contributeurs Eau et Chantier : à ce jour ces contributeurs sont quasi toujours approximés au moyen de calculettes simplifiées. Ils n’ont qu’un impact faible sur l’empreinte globale des projets mais ils mériteraient néanmoins d’être affinés pour valoriser les efforts réalisés sur ces thématiques (notamment en matière d’évacuation et de traitement des déchets de terrassement).

 

En route vers la règlementation environnementale 2020

La loi Elan (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique) a fixé à 2020 l’échéance d’entrée en vigueur de la réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE2020). Le référentiel E+Cdevrait donc être repris en intégrant plusieurs modifications issues du retour d’expérience en cours . L’objectif sera de consolider sa robustesse scientifique et son applicabilité. Plusieurs pistes d’évolution pourront alors être suivies :

  • Les seuils de performance énergétique et environnementale :

Il est probable que les seuils de performances à respecter soient revus pour assurer une meilleure progressivité dans l’évaluation de la performance et permettre la réalisation de projets à coûts maîtrisés. Un focus pourrait également être réalisé sur la complétude des études ACV afin de garantir leur représentativité, leur qualité et donc leur validité.

  • Les aspects méthodologiques relatifs à l’ACV :

Plusieurs choix méthodologiques réalisés dans le cadre de la première mouture du référentiel E+Cont alimenté les débats : périmètre de l’étude ACV, période de référence considérée, types de modulation, prise en compte des bénéfices et charges des produits de construction au-delà du cycle de vie, valorisation du stockage temporaire de carbone biogénique par les matériaux biosourcés, etc. La synthèse définitive des travaux menés par les groupes d’expertise permettra certainement de redéfinir certains de ces éléments.

  • L’intégration d’indicateurs complémentaires :

Le référentiel dans sa version actuelle prévoit déjà des méthodes de calculs pour certains indicateurs sans pour autant imposer des exigences de résultats sur ces derniers : indicateur de recours aux énergies renouvelables et de récupération, indicateur de confort d’été (Dies), durée d’inconfort non pondérée, pourcentage d’insatisfaits moyens, etc. Plusieurs d’entre eux pourraient donc être repris dans la future règlementation.

 

La RE 2020 devrait reprendre la base de travail testée dans le cadre de l’expérimentation E+C- en l’actualisant à partir des retours compilés. Tous les choix effectués ne feront certainement pas consensus mais ils alimenteront les discussions nécessaires à l’évolution des pratiques en matière de conception de bâtiments vertueux sur le plan environnemental.

Au-delà du challenge technique représenté par ces évolutions réglementaires, un challenge organisationnel devra être relevé au sein des équipes projet pour assurer une coopération efficace entre les différents acteurs de la maîtrise d’oeuvre et garantir un processus d’éco-conception optimal.

 

L’expérimentation du label E+C-

Les tops

 

  • Vers une amélioration de la performance thermique, énergétique et environnemental

Les nouvelles exigences du référentiel E+C- encouragent l’amélioration de la performance énergétique et environnementale des bâtiments et poussent les équipes de conception à réfléchir à la mise en oeuvre de solutions en faveur d’une plus grande efficacité sur ces deux volets. Elles permettent également de sensibiliser les maîtres d’ouvrage aux enjeux majeurs du secteur.

  • L’ouverture sur une approche en cycle de vie 

L’ACV, principale nouveauté du référentiel E+C, introduit une réflexion sur l’ensemble du cycle de vie des bâtiments afin d’évaluer quantitativement l’influence de choix de conception sur la performance environnementale des projets. Il s’agit d’une méthodologie scientifique robuste pour objectiver les prises de décisions en phase de conception.

  • L’implication de la filière pour tester la méthode et les seuils

Pour préparer l’entrée en vigueur de la future règlementation, les acteurs de la filière ont été sollicités pour tester et faire évoluer la méthodologie d’évaluation. Les programmes d’accompagnement mis en oeuvre comme OBEC , mais aussi les ressources en ligne répondant aux questions des différents acteurs, ont permis de partager efficacement les informations clés. Des groupes d’expertise et de travail ont également conduit à faire évoluer les méthodes de calculs et d’évaluation pour préparer l’entrée en vigueur de la RE 2020.

 

Et les flops…

  • Des données environnementales spécifiques insuffisantes 

Bien qu’en développement constant, la base INIES ne propose aujourd’hui pas suffisamment de données environnementales spécifiques (FDES/PEP) pour modéliser finement la performance des bâtiments. Le recours aux données génériques par défaut (MDEGD) est trop souvent inévitable et pénalise par conséquent la performance des projets sur le volet environnemental. De même, la modélisation simplifiée des lots 8 à 12 du contributeur « Produits de Construction et Equipements », réalisée de manière quasi systématique faute de données spécifiques adaptées, limite les pistes d’optimisation d’un projet.

En parallèle, les évolutions fréquentes de la base INIES sont souvent à l’origine de variations significatives dans les résultats obtenus par un projet. Effectivement, un même bâtiment modélisé à plusieurs mois d’intervalles, peut présenter des performances très différentes en raison du retrait ou de l’ajout de certaines données dans la base INIES. Très fréquente en début d’expérimentation, cette problématique tend à s’estomper avec la consolidation de la base INIES.

  • Une approche ACV monocritère 

L’ACV est une méthodologie qui se caractérise par son caractère multi-étapes et multi-critères. A ce stade, seules les émissions de gaz à effet de serre font l’objet d’exigences de résultats (indicateurs Eges et Eges,PCE). Les autres catégories d’impacts (appauvrissement de la couche d’ozone, eutrophisation, acidification de l’eau et des sols, etc.), bien que calculées automatiquement par les logiciels d’ACV, ne sont que très peu considérées sur les projets. Il est évident que la mise en place de seuils de performance sur l’ensemble des catégories d’impacts pourrait s’avérer ardue compte tenu du faible retour d’expérience sur ces thématiques. Cependant, il est dès à présent indispensable de sensibiliser la filière à l’ensemble des enjeux environnementaux et pas uniquement aux émissions de gaz à effet de serre.

  • Le caractère expérimental de la démarche E+C- trop souvent oublié 

L’implication des maîtres d’ouvrage dans la démarche E+C- a très souvent conduit à la mise en place d’objectifs de performance dans leurs programmes. Ces objectifs, à respecter par les équipes de maîtrise d’oeuvre, sont parfois difficiles à tenir car potentiellement antagonistes avec certaines exigences concernant le projet. Par exemple, imposer la réalisation de revêtements extérieurs de type enrobé bitumineux sur de grandes surfaces, peut grandement complexifier l’atteinte d’un niveau « Carbone » élevé.

Par ailleurs, si sur le volet « Energie » l’expérience des acteurs permet de bien maîtriser les projets, c’est un sujet beaucoup plus complexe sur le volet « Carbone ». En effet il est très risqué de s’engager, en phase concours notamment, sur l’atteinte d’un niveau de performance environnemental élevé sachant que les données qui alimentent les calculs sont en constante évolution. De nombreuses maîtrises d’ouvrage ont cependant fait de la performance « Carbone » un critère engageant pour les équipes de maîtrise d’oeuvre. Si l’intention est louable, elle fait cependant abstraction des limites actuelles de l’approche et peut s’avérer pénalisante pour les concepteurs.

  • La mobilité non prise en compte 

Quatre contributeurs sont considérés lors de la réalisation d’une ACV selon le référentiel E+C- : les produits de construction et équipements, les consommations énergétiques, les consommations et rejets d’eau et la phase chantier. La mobilité des usagers n’est donc pas prise en compte dans l’évaluation d’un projet. Or ce paramètre n’est pas négligeable lorsqu’il s’agit de réfléchir à son implantation : quels seront les déplacements quotidiens des futurs usagers (loisirs, vie sociale achats et éducation), les déplacements « domicile-travail », la localisation des principaux services (écoles, supermarchés, espaces de santé, zones d’activités, etc.) ? Autant de questions auxquelles il conviendrait de répondre pour juger de la pertinence environnementale d’un projet de construction. L’ACV pourrait alors permettre d’objectiver les réflexions sur ce sujet.