Julien HANS est directeur du département Energie du CSTB.

Ces propos sont issus des Rencontres associés et partenaires de NOBATEK/INEF4 qui ont eu lieu le 17 septembre 2021 à Anglet.

La RE2020, c’est un changement radical dans l’acte de construire.

Il faut s’imaginer être comme en 1974 avant la première réglementation thermique ! C’est un virage important qui peut s’aborder relativement sereinement quand on regarde dans le détail ce que propose cette nouvelle réglementation.

Le pourquoi ? est une question fondamentale. Nous sommes dans une problématique d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, ce qui signifie que nous devons nous mettre sur une trajectoire de réduction des émissions carbone et être capable de mesurer notre impact, nos émissions.

Notre budget carbone c’est quoi ?

“If you can’t measure ityou can’t improve it.” – Lord Kelvin

« Si tu ne peux pas mesurer, tu ne peux pas améliorer ». L’enjeu de la RE2020 est clair : il faut être capable de caractériser l’impact en gaz à effet de serre des projets, sinon nous n’avons aucune chance de progresser. Mais avons-nous déjà en tête notre propre impact carbone ? En tant que citoyen français, nous émettons 11 tonnes de CO2 e/an[1], c’est notre « budget carbone » annuel. Savons-nous comment nous le dépensons ? Pour compenser ces 11 tonnes de Co2 annuelles et se mettre en neutralité il faudrait 11m3 de bois en croissance – un très bel arbre dans votre jardin !- ou bien peu plus de 10m² de construction neuve, ou encore 1,5 million de km en train ou 80 000 km en voiture ou 700kg de viande ou encore 27 tonnes de légumes. Pour rappel, les incendies de l’Amazonie ont représenté 3 fois le budget annuel d’émission de CO2 de la France en quelques semaines seulement !

La trajectoire des accords de Paris -c’est à dire la neutralité carbone-, qui permet de mettre la planète dans un état d’équilibre : c’est l’autonomie. Le constat est simple avec notre « budget carbone » annuel actuel : il doit être divisé par 5 à l’Horizon 2050.

Quelle est la part de l’acte de construire ?

L’acte de construire représente une partie conséquente de notre « budget carbone » actuel : sur ces 11 Tonnes de CO2 émises chaque année par chacun, il y a 7 tonnes sur lesquelles le quartier et le cadre bâti influent relativement peu, et 4 tonnes où leur impact est direct. Direct, parce que construire, implique de la mobilité et oriente la façon de se nourrir (ex : des supermarchés à l’extérieur des villes qui génèrent plus de mobilité que ceux en hypercentre). Bonne nouvelle : nous pouvons donc agir sur plus de 50% des émissions avec l’acte de construire. Les experts indiquent que selon les actions consenties nous pourrions passer de 4tonnes à 1 tonne ce qui veut dire de manière assez pragmatique que dans notre budget on a 3 tonnes de construction bas carbone à économiser.

Quel est l’état du parc existant ?

Avec la RE2020 nous allons découvrir beaucoup de produits de construction qui vont permettre de faire des économies mais tous n’ont pas le même impact et ni la même pondération dans le bâtiment. Qu’est-ce qu’un béton bas carbone ? Quel est l’apport d’un isolant biosourcé ? Quels sont les plus vertueux ? L’objectif sera de comprendre ce que l’on économise avec chaque mode de construction.

Il est impossible de vous parler de la RE2020 sans évoquer le parc français existant. Il est fréquemment reproché de porter les efforts de transition sur le neuf plus que sur la rénovation. De nos jours, 11 M de logements sont un héritage de la construction d’après-guerre construits rapidement- très souvent en préfabriqué- consommant 350kWh par m²/ an, avant les premières règlementations thermiques (cf. figure 2). Il est donc crucial de se poser la question de ce que l’on va entreprendre afin de ne pas léguer des bâtiments qui eux aussi vont produire beaucoup de CO2.


De nos jours, nous détruisons toujours les bâtiments à la dynamite… pire encore nous continuons à construire selon les mêmes modes et à déconstruire ainsi, nous ne savons faire que ça !

Ne nous le cachons pas, une réglementation, c’est contraignant, les calculs sont compliqués, mais dans les faits sur le parc existant : il n’y a que cela qui a fonctionné. Si nous avions attendu que la construction s’organise toute seule pour consommer moins, nous serions encore sur les consommations d’après-guerre !

Les derniers 300 000 logements neufs ne pèsent quasiment en comparaison de l’existant. Une maison des années 50, de 100m² consomme 350kWh/m²/an, soit ‘équivalent de 120 000km en voiture alors qu’une maison neuve, ne représente, elle « que » 4 000km. Les efforts réalisés par le bâtiment lui-même sont incroyables.

Que demander à des bâtiments pour être plus performants ?

La RE2020 part de là. Pour une maison efficace (passive et autonome) – en termes de consommations mais aussi en termes d’émissions de GES, l’impact énergétique ou d’émissions de GES de l’acte de construire, des produits de construction, de l’extraction des matières premières, de la déconstruction du bâtiment sont du même ordre de grandeur que 50 ans d’exploitation du bâtiment. C’est ainsi que le travail sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment s’est imposé.

Si nous en sommes arrivés à des bâtiments dont le poids des produits de construction est aussi important que le poids des consommations en exploitation, c’est uniquement parce que depuis 1975 et régulièrement on a rajouté des exigences de plus en plus importantes sur les équipements et les consommations.

Depuis 2018/2019 nous avons lancé des expérimentations nationales de grande ampleur de test de la méthode réglementaire par les acteurs de terrain. Ces tests ont permis d’avoir des bâtiments plus économes en énergie, de mieux évaluer les seuils de carbone pour se mettre sur une trajectoire de neutralité nationale.

Que faut-il retenir de la nouvelle règlementation environnementale ?

La colonne vertébrale de la RE2020 réside dans le triptyque : énergie, carbone, confort d’été.

– La dimension énergétique : nous avions des règlementations thermiques, nous avons désormais une règlementation environnementale avec une règlementation thermique conservée et renforcée dont on ne change pas l’univers méthodologique – ce sont les mêmes calculs – mais on va continuer à renforcer les performances des normes; avec le recours aux EnR par ex.

– La dimension carbone : un « bon » bâtiment ce n’est pas uniquement sa performance énergétique mais aussi sa performance environnementale (déchets générés, matières premières consommées…). Il n’y a pas de réglementation sur ce sujet précis, voilà pourquoi on ajoute une dimension carbone en cycle de vie complet.

– L’adaptation au changement climatique en plus de l’atténuation. Les vagues caniculaires seront plus en plus fréquentes, les bâtiments neufs doivent donc être en capacité de les encaisser tout en conservant un niveau de confort acceptable et en limitant l’installation -sauvage ou non- et l’usage de la climatisation pour ne pas rajouter des consommations et rejets supplémentaires

 

Cette réglementation s’est bâtie principalement sur des retours d’expérience mais aussi plus largement sur des travaux de R&D, comme par exemple ce que peuvent faire NOBATEK/INEF4 et ses partenaires, très en amont. S’en suivent des groupes de concertation, qui s’appuient à la fois sur les REX et sur les travaux écrits des différents acteurs qui ont mené des expérimentations et enfin l’Etat qui vient construire et arbitrer, sur la base de tout ce cocktail, une proposition réglementaire.

L’impact sur le climat a guidé la construction de cette règlementation environnementale d’où l’introduction du CO2. Il est inutile de regarder ce qui se passe en exploitation si l’on ne prend pas en compte les émissions en construction, cela reviendrait à ne pas considérer à minima la moitié des impacts donc les produits de construction rentrent dans le dispositif. C’est une chose que l’on entend assez peu dans les discours parce qu’on parle de carbone : la RE2020 c’est la bascule d’une simulation énergétique monocritère à une analyse du cycle de vie multicritère.

Dans toute règlementation on a de petits mouvements méthodologiques, mais ici le périmètre du projet ne sera pas exactement le même. Pour la caricature : on calcule désormais ce qui se passe sur l’ensemble de la parcelle et plus uniquement le bâtiment construit, comme pour la RT2012. On est désormais en cycle de vie complet. Par exemple : Si l’on source des matériaux qui viennent de loin, dont l’usine est très énergivore, cela rentre dans le bilan environnemental de la construction. C’est là que cela devient intéressant en termes d’innovation : on va favoriser les circuits courts, les usines propres, les matériaux biosourcés…

Si la RE2020, est vue avec beaucoup d’angoisse, cette règlementation est un gisement extraordinaire d’innovations. Par exemple d’un point de vue économique, parce que la RE2020 est la réglementation la plus aboutie au niveau carbone dans le monde aujourd’hui, cela signifie que les technologies bas carbone françaises (les biosourcés, la récupération d’énergie…) auront une longueur d’avance et donc une ouverture à l’export du moment qu’elles sont étayées par des FDES.


Pour aller plus loin...

Analyse macroscopique des indicateurs de la RE2020

  • Renforcement du Bbio (+ 30%), du CEP et du degré heure
  • [NEW] Identification des consommations d’énergies non renouvelables : Auparavant cette information était incluse dans le bilan mais n’était pas réellement identifiée.
  • [NEW] L’indicateur carbone qui caractérise les émissions de GES de nos consommations d’énergie en exploitation -issu de l’ACV
  • [NEW] L’indicateur énergie & construction des produits de construction. Ces deux-là sont les deux grandes nouveautés de cette RE -issu de l’ACV

Comme cela est récent et que cela bouscule, les seuils pour les produits de construction ont été pensés progressivement par l’Etat. Par exemple, pour un bâtiment RT2012 construit en 2019, les seuils énergie ne seront pas atteints sans le renfort du BBio mais parallèlement il a de grandes chances d’atteindre les seuils carbones, alors même qu’à l’époque on ne se savait pas qu’il fallait le calculer. Progressivement jusqu’à 2031 les indicateurs vont se resserrer. Il faut donc anticiper les efforts, pour des manières de construire un peu différentes.

Concernant les seuils d’exploitation, la volonté de l’Etat est de mettre un frein aux énergies fossiles de façon radicale. 160kgCO²/m², cela signifie par exemple qu’une solution à gaz pour une maison individuelle, ça ne passe plus. À l’exception peut-être de quelques technos hybrides hyper performantes… c’est ne sera plus envisageable.

Sur le confort d’été : c’est assez simple si on suit la sémantique, on calcule les degrés et les heures. Soit je suis inconfortable d’1 degré pendant 10h, soit je suis confortable de 10 degrés pendant 1h… ce qui conduit aux degrés heures : Il s’agit de confort adaptatif basé sur une courbe explicitant que lorsqu’il fait chaud dehors, vous n’êtes pas en inconfort de la même manière que lorsqu’il fait froid. Le scenario de la canicule de 2003 est le test réglementaire pour tous les bâtiments : < 350DH, votre bat est bien conçu et vous êtes en accord avec la règlementation, >1250 DH Il faudra retravailler votre bâtiment, dans l’entre deux cela convient mais il faudra des apports de climatisation qui vont vous pénaliser dans votre bilan carbone et GES.

Exemple d’opération E+C- en France